la façon fait l’histoire

production et usage d’un livre

— Un livre, qu’est-ce que c’est ?

— C’est un objet formé de nombreuses feuilles réunies par une reliure.

— Mais qu’est-ce qu’il y a dedans ?

— D’habitude il y a des mots qui, s’ils étaient mis bout à bout, formeraient une ligne qui aurait des kilomètres de long, et, pour la lire, il faudrait beaucoup marcher.

— Mais qu’est-ce qu’on lit dans ces mots ?

— On y lit des histoires très différentes, des histoires de gens d’aujourd’hui ou d’autrefois, des expériences scientifiques, des légendes, des pensées philosophiques ou politiques très compliquées, des poèmes, des bilans, des histoires de science-fiction…

Bruno Munari, in Prélivres. Danese, 1980

— Pourquoi on fait un livre ?

— Ça fait suite à un événement particulier ?

— C’est une fiction ?

— Est-ce que c’est le résultat d’une recherche ?

— D’une recherche introspective ?
Ou bien c’est plutôt le résultat d’une prospection, d’une enquête dans la ville, la nature, les bibliothèques, avec la rencontre de certaines personnes ?

— Et ces gens rencontrés, ce sont des habitants ou des spécialistes ?
C’est qui ? Pourquoi eux ?

— C’est une synthèse de ces recherches ? Une collection de tous les documents ?

— Ça se fait seul ou à plusieurs ?

— Ça se fait en équipes ?
    De combien ?

— Qui fait quoi ?

— Il y a quelqu’un qui dirige ?

— Tout le monde doit lui adresser ses recherches ?
    Il faut plutôt faire des relais ?

— Et ils communiquent comment entre eux ?
      Ils ont besoin de quels outils ?

— Ça se fait en combien de temps ?
  Ça se fait en un coup ?
    C’est en plusieurs étapes ?
  Ça se fait à quel rythme ?

— Il est tout seul ou il a une suite ?

— Il faut des moments particuliers dans l’année ou dans la journée pour y travailler ?

— C’est chronologique ?

— Ça fait voyager ?
  Où Ça ?

— Il faut s’immerger dans un milieu ?

— Il faut une préparation ? Une pratique ?
      Une discipline ?
      Des postures particulières ?

— Il faut des outils spéciaux pour écrire ou pour fabriquer les images ?
  Pour faire des photographies ?
  Des dessins ?
  Des schémas ?

— Tout le monde peut s’en resservir ?
  Le transfomer ?   Le partager ?

— Il faut des autorisations ?

— On le trouve où ?

— C’est dans une librairie ?
  Dans quel rayon ?

— Est-ce que beaucoup de gens y ont accès ou au contraire très peu ?
Et ils le trouvent de faÇon involontaire, volontaire, ou même y a-t’il des restrictions d’accès ?

— Ça s’achète ?
  Combien Ça coûte ?

— Ça se fait à combien d’exemplaires ?

— C’est stocké comment ?

— Ça se consulte dans un lieu particulier ?
    Dans une posture particuliere ?
     Seul ?
        à plusieurs ?
                              En public ?
        En silence ?
                               à voix haute ?

— C’est qui le propriétaire ?

— Il faut être dans un état particulier ?

— Il faut combien de temps ?

— C’est à faire en un coup ?               En plusieurs fois ?

— C’est un outil ?

— Ça se lit de gauche à droite ?

— Ça se touche ?

— Ça tient dans la main ?
      Dans la poche ?
      Dans un sac ?
          Dans un sac spécial ?
            Sur une étagère ?    Dans une pièce ?
                Sur un stade de foot ?

— Ça fait tourner les pages ?

— Ça s’ouvre ?


— Ça se déplie ?


— Ça s’étire ?


— Ça se transporte ?

— Ça se suit ?

C’est ici l’invention d’un livre réel au contenu présent et non-présent à la fois.

On produit un auteur puis on produit un livre.
Un livre vierge mais pas un livre blanc.

Il y a une couverture, un poids, un volume, des matières et des techniques.

Il y a un titre
et une quatrième de couverture mais les pages resteront vierges de textes et d’images.
Un livre en projections.
Les discussions en amont, dont ce journal se fait l’outil, le temps de la production et les discussions publiques autour de l’objet-livre seront les contenus effectifs de ces premiers ouvrages de la bibliothèque de Schrödinger.

Les questions de ce journal, certainement pas exhaustives, sont posées à Bruno Munari comme à tout producteur de livre.
Ils en auront un usage ouvert lors de la conception et des discussions avec les divers acteurs de ce projet,
dans les temps de production et d’utilisation — si l’on peut le.s séparer — c’est-à-dire dans tous les contours du livre